5 oeuvres, 5 histoires qui ont marqué d’une pierre blanche l’aventure picturale de Gemmanick…
La Thébaïde
En 1963, Gemmanick pleure la mort de son frère cadet, Yves, décédé à vingt-cinq ans à peine.
Une porte se ferme, une autre s’ouvre, et de la douleur de la perte naît le jaillissement spontané… Dans la pièce attenante au local de la mine de Houaïlou où Gemmanick peint entre deux analyses de minerai de nickel, les paysages verdoyants de jeunesse font place à un style plus profond, plus sombre aussi, baptisé Nuances. Il la fera remarquer et lui permettra de se faire exposer pour la première fois en 1965 : Gemmanick, la peintre-artiste, est née.
C’est durant cette période que Gemmanick peint la Thébaïde, autoportrait reflet du monde intérieur dans lequel elle trouve refuge pour transcender la peine qui la marquera des années durant.
Naku Made Mato
En 1969, Gemmanick expose au centre culturel de Nouméa. La centaine de toiles qu’elle présente – toutes vendues en deux semaines – attire l’attention du vice consul du Japon en Nouvelle-Calédonie.
Par son intercession, Seiji Togo, de l’Académie des Beaux-Arts du Japon, découvre le travail de Gemmanick, et ne tarde pas à lui écrire son admiration en quelques mots sobrement dactylographiés en français sur un petit bristol blanc : « Très intéressant, la copie de personne ».
Décidée à répondre en personne à un tel hommage, Gemmanick s’envole immédiatement pour le Japon afin de rencontrer le grand-maître Seiji Togo, qui la reçoit en son atelier. Enthousiasmé par l’oeuvre et la personnalité de l’artiste, ce dernier l’invite à participer au salon du Nika Kai, dont il est à l’époque le président.
Gemmanick y présente en 1970 Naku Made Mato (un oiseau imaginaire baptisé « J’attendrai qu’il chante » en référence à un fameux haiku – poème – sur le shogun Ieyasu, peint en 1967 pour un salon sur l’ornithologie au musée Bernheim de Nouméa). Le jury, intrigué, demande à faire la connaissance de l’artiste qui a donné un nom aussi célèbre à un oiseau si étrange…
C’est le début d’une belle aventure au pays du soleil levant pour Gemmanick, qui participera plusieurs fois au salon du Nika Kai, exposera sur la Ginza, galerie Nichido, et aura l’honneur de rencontrer le Prince et la Princesse du Japon.
Carnaval sous la mer
L’histoire commence avec la découverte marquante de l’Aquarium de Nouméa. Fondé par le bilogiste René Catala et sa femme Ida Stucki, l’Aquarium est à l’époque une vitrine unique sur les trésors nichés au creux des océans du Pacifique : poissons mutlicolores, coraux fluorescents et autres merveilles inaccessibles au commun des mortels…
Carnaval sous la mer : extrait de la tapisserie d’Aubusson et timbre d’outre-mer
Subjuguée par cette porte ouverte sur l’univers féérique des récifs coraliens, Gemmanick décide de rendre hommage au professeur Catala, qui s’est battu pour voir naître le projet de sa vie sur ses propres deniers, ainsi qu’à son ouvrage intitulé « Carnaval sous la mer », qui célèbre la beauté de la faune et de la flore océaniennes.
Symbiose
Symbiose naît d’une gageure lancée par Armand Lanoux, de l’Académie Goncourt, qui invite Gemmanick à lui présenter une toile témoin de son art, de celles qui pérégrinent dans la vie de tout grand artiste, qui incarnent et traversent son oeuvre en imprimant leur motif sous des formes et des déclinaisons variées ; de celles qui constituent le laisser-passer pictural qui leur ouvre la voie de la postérité…
Peindre le tout et les origines, l’allégorie de la vie sur terre à travers le prisme de son pays natal : le thème est trouvé.
Cagou majestueux – oiseau emblématique de la Nouvelle-Calédonie – porté par l’air, poisson de feu qui représente aussi les richesses naturelles de l’archipel, terre des fonds de la mer et toile envahie par l’eau : les quatre éléments sont réunis.


Premières versions de Symbiose
Porteuse du liquide amniotique qui donne la vie sur terre, la femme est en symbiose, point de rencontre entre l’eau et la terre, l’unité et la dualité, l’âme et son véhicule terrestre…
Le voile du mystère recouvre son visage : personne ne détient la grande vérité, dont seule une parcelle, fragment de miroir porté sur le troisème oeil, nous est révélée.
Nous sommes en 1976 : la première version de Symbiose voit le jour. Cette toile, que Gemmanick a déclinée sur plusieurs périodes, constitue un véritable témoin de son oeuvre marquée par l’ailleurs océanien et la quête d’une traduction symbolique de l’intraduisible…
L’Euro
Après une décennie marquée par une grande tournée européenne et de nombreuses expositions en France, en Allemagne et dans les pays du Bénélux, Gemmanick est invitée en 1987 à participer à un salon thématique sur l’Europe, sous le haut patronage de Valéry Giscard d’Estaing.
Le jury du salon, réuni par l’association Promotion des Arts en collaboration avec la fondation Paul Ricard, ne laisse pas d’exprimer sa surprise devant l’oeuvre singulière que Gemmanick présente.
Dans une toile qu’elle intitule La Conscience de l’Europe, Gemmanick frappe la monnaie unique de la CEE du sigle EURO, pour Europe Unie Réalisée dans l’Ouverture, à une époque où tout le monde croit à la pérennité de l’Ecu…
L’expansion de l’Europe ne fait aucun doute : le soleil, en haut, éclaire notre planète bleue, et la lune est à son croissant ascendant. Le drapeau ne compte que 12 étoiles, mais la place est déjà faite pour de nouveaux membres.
L’homme, lui, a créé la lumière, symbolisée par l’ampoule, qui contient le sablier du temps et « le temps, c’est de l’argent » ! Charge donc à la Banque Centrale de garder un oeil attentif, jour et nuit, sur le cours de l’euro…
La Conscience de l’Europe ne trouvera pas tout de suite son public, peut-être trop en avance sur son temps. Ce n’est que quatorze ans plus tard, en 2001, alors que l’Europe s’apprête à mettre sur le marché sa monnaie unique, finalement baptisée euro, que le journal Ouest France, sous la plume de Jean-Yves Boulic, titrera : « Elle a peint l’euro avant l’euro ».